Nommer le réel : un acte fondateur qui a commencé, dans la tradition judéo-chrétienne, par la création du monde : « Dieu appela la lumière jour, et il appela les ténèbres nuit. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le premier jour. » (Genèse 1 v. 5). Adam, le premier être humain, a poursuivi cette identification dans le jardin d’Éden, en nommant les animaux qui l’entouraient (Genèse 2 v. 20). Ainsi, en définissant les éléments de son environnement, il a permis qu’ils existent.
La langue, une question d’influence
La langue française s’est construite sur la durée, façonnée par les aspects géographiques – influence ou adoption de mots d’origine étrangère – et le contexte économique – besoin de nommer les nouveaux phénomènes de société. Régie par l’Académie française, la langue de Molière évolue donc au gré des décisions de l’institution, la devançant parfois. A titre d’exemple, l’utilisation du déterminant masculin par les médias et le public pour qualifier « covid » s’est généralisée bien avant que l’Académie française ne statue, en mai 2020, que son déterminant devait être féminin : « la covid ».
La langue est un sujet stratégique car hautement politique : elle définit le champ des possibles.
C’est en 1635 qu’est née l’Académie française sous l’implusion de Richelieu. Alors composée de 40 hommes, elle a pour mission de structurer la langue, et travaille donc à la création d’un dictionnaire. Avec cette naissance a débuté la masculinisation du français. Dès le XVIe siècle pourtant, on utilisait des termes féminins qui semblent nouveaux aujourd’hui (autrice, mairesse, possesseure), on pratiquait les accords de proximité (« les hommes et les femmes sont prêtes ») ainsi que la féminisation des participes présents (appartenante).
L’époque comptait de nombreuses femmes de lettres célèbres et influentes, qui malgré les nombreux obstacles rencontrés – maternité, tâches domestiques, inégalités d’accès aux institutions – jouissaient d’un certain succès : Madeleine de Scudéry, Mme de Villedieu, Catherine Bernard. Par jalousie, peur, ou afin de façonner un monde qui leur serait plus favorable, l’Académie a banni peu à peu de nombreux mots et expressions féminins.
A cette même époque apparaît la règle du « masculin qui l’emporte sur le féminin », justifiée, selon son auteur le grammairien Scipion Dupleix, par le fait que « le genre masculin est le plus noble, il prévaut seul contre deux ou plusieurs féminins ». Ce sont ces règles, en vigueur aujourd’hui, qui ont conditionné notre apprentissage de la langue.
Revenir à une langue équitable
L’écriture inclusive désigne « l’ensemble des attentions graphiques et syntaxiques permettant d’assurer une égalité des représentations entre les femmes et les hommes » (agence Mots-Clés). Elle est issue de la volonté de faire changer les mentalités sur l’égalité entre les sexes par le langage. Envisager une écriture dite « inclusive » ne vient pas d’une obscure envie de féminiser la langue, mais plutôt de cesser d’accepter sa masculinisation par défaut, qui, comme nous l’avons vu, a été créée, imposée et adoptée. Car le masculin n’est pas neutre.
En 2017, face à l’émergence du débat sur l’utilisation de l’écriture inclusive, l’Académie française se prononce et s’oppose, sans surprise, à ce qu’elle qualifie d’« aberration ».
L’Académie ne comporte alors pas de linguiste et est composée de 10 % de femmes.
La proportion peut sembler faible mais c’est un progrès : l’Académie est demeurée entièrement masculine durant 345 ans, Marguerite Yourcenar étant la première femme à y être admise en 1980.
Pourquoi se préoccuper des mots et de qui ils désignent ? Parce que notre façon de parler illustre et influence notre perception de la société. Si le métier de « directeur » reste au masculin par défaut, il sera beaucoup plus difficile pour des petites filles de se projeter un jour comme directrices, car elles en sont actuellement grammaticalement exclues. Une société qui prône et permet l’égalité dans les faits se trouvera en meilleure santé mentale, sociale et économique, permettant à 50 % de sa population de se réaliser entièrement.
Comment l’appliquer ?
Une fois que l’on a pris conscience de la fonction inclusive du langage et de son importance, il est possible de modifier ses pratiques de plusieurs manières :
1. Sans prise de tête
Un commencement en douceur peut passer par l’adoption du langage épicène : choisir des formules neutres qui s’appliquent aux hommes et aux femmes, se substituant aux expressions purement masculines. Il se décline sous plusieurs formes et vous laissera exprimer votre créativité !
Dans les communications destinées à un ensemble de personnes, on peut également utiliser des doublets : « les chanteuses et les chanteurs », « chère collaboratrice, cher collaborateur », ou encore « les infirmières et les infirmiers ».
L’utilisation de « Mademoiselle » doit cesser au profit de « Madame » par défaut, sauf si la personne le souhaite.
2. En y allant à fond
Pour les personnes qui souhaitent aller plus loin, plusieurs outils sont disponibles.
- Le point médian « · » permet l’inclusion systématique des deux sexes.
Ex. : cher·e, un·e électeur·rice, le·la coiffeur·euse, les client·es, le·s agriculteur·rice·s.
Le deuxième point médian s’écrit uniquement si l’on souhaite insister sur les deux possibilités : singulier et pluriel. - L’emploi du féminin générique (au lieu du masculin générique courant), fait prendre conscience des différences et des exclusions du langage. Choisir de dire « je souhaite saluer toutes les participantes pour leur engagement », même si les destinataires comprennent des hommes, suscitera certainement des réactions car la moitié de l’auditoire se sentira bel et bien exclu.
- Appliquer la règle de proximité afin d’abolir la règle du masculin qui l’emporte sur le féminin au pluriel.
Ex. : Les joueurs et les joueuses sont satisfaites. - Appliquer la règle de l’accord de majorité lorsqu’il y a plus de membres féminins que de masculins.
Ex. : Tes filles et ton garçon sont soigneuses. - Enfin, il existe des pronoms personnels inclusifs (lo, lu, lia, li, iel) encore peu utilisés mais qui font réfléchir à une désignation plus complète des genres.
L’écrivaine française Olympe de Gouge a, en 1791, rédigé de manière critique et militante la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne », stipulant donc que « la femme naît libre et demeure égale en droits à l’homme ». Suivons cet élan et reflétons cette réalité dans notre langage quotidien. Permettons à chaque personne de se sentir incluse, et de constater que son existence compte tout autant que celle des autres !
Sources et ressources : Manuel de référence sur l’écriture inclusive https://www.motscles.net/ecriture-inclusive Autres guides utiles https://www.hepl.ch/files/live/sites/systemsite/files/instance-egalite/petit_guide_epicene_ipe.pdf https://www.refbejuso.ch/fileadmin/user_upload/Downloads/Francais/PDF_divers/guidecommunicationepicene090904.pdf Langage inclusif +++ https://divergenres.org/regles-de-grammaire-neutre-et-inclusive/ Ouvrage de référence sur le langage Eliane Viennot : Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! Editions iXe, 2017 Opinion sur l’écriture inclusive https://www.huffingtonpost.fr/entry/la-feminisation-de-certains-mots-est-un-debat-politique-et-non-pas-linguistique_fr_5d2f1cdfe4b085eda5a4dc5f https://www.letemps.ch/societe/lecriture-inclusive-mere-toutes-batailles http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/les-quarante-aujourdhui http://academie-francaise.fr/actualites/declaration-de-lacademie-francaise-sur-lecriture-dite-inclusive Sur le point médian http://www.ecriture-inclusive.ch/point-median-pour-ecrire-en-langage-inclusif/ https://nte.unifr.ch/blog/2019/11/14/ecriture-inclusive-le-point-median-avec-word/comment-page-1/ https://www.motscles.net/blog/comment-faire-le-point-median-sur-liphone- Podcast Parler comme jamais Recherches universitaires https://www.cairn.info/revue-ela-2006-2-page-187.htm https://www.unil.ch/egalite/files/live/sites/egalite/files/Egalite_UNIL/Publications%20et%20liens/Guide_mots_egalite_2018.pdf